Anas Daïf : De l’encre et des luttes



Journaliste, podcasteur et auteur de 29 ans, Anas Daïf est une voix montante de la scène littéraire et médiatique française. Ses engagements multiples et son parcours atypique font de lui une figure essentielle pour comprendre les luttes et les récits contemporains, notamment ceux des personnes racisées et queer en France. Anas navigue entre écriture journalistique, création littéraire et réflexion sociologique, avec une plume vibrante et profondément engagée.

Par Inès Ouzerout (journaliste)
Publié le 20 février 2025

Né et ayant grandi dans un environnement où il ne se sentait pas toujours légitime pour s’exprimer à l’oral, Anas a trouvé dans l’écriture une manière de se faire entendre. Enfant discret, il utilisait les mots comme un outil d’évasion, mais aussi de construction identitaire.

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Anas Daïf
Journaliste, podcasteur et auteur

Il se souvient notamment de ses débuts en tant que "rédacteur en herbe", inspiré par les pages du Journal de Mickey, qu’il reproduisait à sa manière dans des journaux qu’il fabriquait artisanalement : "Personne ne les lisait, mais je m’y investissais". L’écriture est ainsi devenue une échappatoire, un espace de liberté où il pouvait exister pleinement.
Ce lien viscéral avec les mots s’est transformé, au fil des années, en une vocation : celle de donner la parole à ceux qui, comme lui, avaient longtemps été réduits au silence. Si l’envie d’écrire et de raconter des histoires a toujours été présente, le véritable tournant dans sa carrière s’est produit en 2011, à l’adolescence. Il assiste, au Maroc, à une manifestation du Mouvement du 20 février, dans le cadre des Printemps arabes.
Ce moment, marqué par l’espoir d’un changement social et politique, mais aussi par une répression silencieuse, l’a profondément marqué : "Le soir même, je n’ai rien vu à la télé sur ce qui s’était passé. Pas un mot, pas une image", se souvient-il, "Ma tante m’a simplement dit : ‘C’est comme ça ici.’" Ce silence médiatique a réveillé en lui un sentiment d’injustice et la volonté de devenir un témoin actif, capable de rendre visibles les récits éclipsés par les institutions. Ce souvenir, bien que lointain, continue de nourrir son travail aujourd’hui.

Après avoir intégré une école de journalisme, Anas Daïf s’est rapidement démarqué par son approche engagée. Collaborant avec France Télévisions en tant qu’indépendant, il s'investit dans des projets mettant en lumière les voix marginalisées, avec un souci constant d’authenticité et de vérité. En 2019, avant même de terminer ses études, il lance le podcast À l’Intersection. Ce projet, conçu comme un espace de réflexion et de dialogue, explore les thématiques d’identité, de mémoire et de lutte sociale à travers des interviews et des récits personnels. Ce travail est, selon lui, une manière de documenter les expériences plurielles de ceux qu’il appelle "les invisibles". "Nos récits, en tant que personnes racisées, sont rarement racontés par nous-mêmes", explique-t-il, "Le podcast était une première étape pour changer cela, mais je voulais aller encore plus loin.

"Pour moi, si mon voisin n’est pas libre, je ne le suis pas non plus"

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Ingénieur du son et studio manager

En 2024, Anas Daïf publie son premier livre : Et un jour, je suis devenu arabe, un essai qui mêle introspection personnelle, analyse sociologique et réflexion politique. Ce livre est pour lui l’aboutissement d’un long processus de réflexion et d’écriture, qui lui a permis de poser sur papier des thématiques complexes et souvent douloureuses.
Le choix de l’essai, plutôt que d’autres formes littéraires, était une évidence pour Anas : "Je voulais laisser une trace tangible, un objet qui puisse traverser le temps. Le numérique est éphémère, mais un livre, ça reste. Ça se transmet." Dans cet ouvrage, il aborde des sujets aussi variés que le racisme systémique, les discriminations subies par les personnes queer dans les communautés maghrébines, ou encore les dynamiques postcoloniales en France.


Il y mêle des souvenirs intimes à des analyses plus globales, offrant ainsi un récit à la fois personnel et universel. Écrire Un jour, je suis devenu arabe a été un véritable parcours du combattant. Anas a travaillé sur ce projet pendant plus de deux ans, remaniant plusieurs fois son texte pour trouver le bon équilibre.L’un des défis majeurs a été d’aborder des sujets sensibles, comme l’homophobie dans sa propre communauté : "Je ne voulais pas donner de munitions à l’extrême droite, mais je ne pouvais pas non plus faire l’impasse sur ces réalités. Si je n’en parle pas, qui le fera ?" Un événement tragique a d’ailleurs marqué son écriture : le suicide d’un ami proche, un jeune homme queer et racisé, qui n’a pas trouvé sa place dans une société profondément discriminante. "Cet événement a renforcé mon sentiment d’urgence. Il fallait que j’écrive pour ceux qui n’ont plus de voix, pour ceux qui ne peuvent plus se battre." 

Pour Anas, la publication de ce livre n’est pas une fin en soi, mais un point de départ. Il envisage de décliner ses pensées sous d’autres formes, notamment en documentaires ou mini-séries, pour toucher un public plus large. Il travaille également sur de nouveaux projets d’écriture, explorant des thématiques comme la santé mentale, l’amour communautaire ou encore la mémoire collective. À terme, il aimerait s’essayer à la fiction, un domaine dans lequel il voit un potentiel immense pour déconstruire les stéréotypes.Le parcours éditorial d’Anas est marqué par sa collaboration avec la maison d’édition Tumulte. Les deux fondateurs partagent sa vision d’un monde où les récits marginalisés trouvent enfin leur place : "Ils m’ont soutenu dès le début, et notre travail ensemble a toujours été naturel. Le nom même de leur maison, Tumulte, reflète parfaitement l’énergie de nos projets : on est là pour bousculer, pour faire du bruit."

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Une voix essentielle pour notre époque

Anas Daïf incarne une génération d’auteurs et de journalistes qui refusent de se plier au silence imposé. À travers son travail, il offre une parole libératrice pour celles et ceux qui, comme lui, ont longtemps été invisibles. Avec une plume à la fois intime et universelle, il raconte les luttes, les espoirs et les contradictions de notre époque, en invitant chacun à réfléchir sur sa propre place dans le monde. Un auteur à suivre, et surtout, à lire.