Heureusement : une maison d'édition qui ouvre le champ des possibles
La transmission a souvent fait partie des préoccupations premières chez les habitantes et habitants des quartiers populaires. Si s’engager prend différentes formes, il n’en est pas moins dans la créativité et dans la culture que cette jeunesse fabrique, remodèle et inspire. Heureusement, c’est une maison d’édition née d’un constat : pour des enfants issus de l’immigration, la représentation de personnages à leur image est très faible.
Par Mona Saar (journaliste)
Publié le 13 mars 2025
Au-delà d’une évidence, créer une fiction autour d’un personnage venu de quartier populaire, Noir, Arabe ou d’autres diasporas pourtant très présentes en France s’est imposé comme un besoin.

Couverture Melvin tome 2
La transmission a toujours occupé une place centrale dans les quartiers populaires. Pour cette jeunesse qui fabrique, remodèle et inspire, l’engagement passe aussi par la créativité et la culture. C’est de ce constat qu’est née Heureusement, une maison d’édition fondée par Davidson et Jok’Air, avec une mission claire : offrir aux enfants issus de l’immigration des récits qui leur ressemblent. Trop peu de personnages dans la littérature jeunesse française reflètent la diversité des quartiers populaires. Il était donc urgent de créer des histoires où un enfant noir, arabe ou issu d’autres diasporas présentes en France pouvait être au centre du récit.
Davidson et Jok’Air, frères et Parisiens d’origine ivoirienne, ont grandi dans le 19e arrondissement. Devenus pères, ils se sont rendu compte du manque criant de livres dans lesquels leurs enfants pouvaient se reconnaître. Persuadés que cette absence freine le goût de la lecture, ils ont d’abord créé l’association La Mélodie des Quartiers, qui distribue gratuitement des livres aux enfants des zones REP et REP+. Leur but ? Éveiller la curiosité, ouvrir le champ des possibles et montrer que la culture appartient à tout le monde.

Transmettre, inspirer, représenter
Grandir dans le 19e, c’est connaître les réalités d’un quartier populaire et voir émerger des initiatives porteuses d’espoir. Pour Davidson et Jok’Air, cette identité est une fierté et un moteur : « On est la première génération qui assumons de vouloir transmettre à nos enfants. Nos parents étaient plus discrets, ils n’avaient pas le choix. Nous, on est nés ici, ils doivent l’accepter. »
En 2024, Heureusement a accéléré son développement avec le succès de Melvin de Paris, une sorte de Titeuf des quartiers populaires. En collaboration avec plusieurs écoles de La Réunion, un nouveau tome intitulé La Compète a vu le jour, centré sur les Jeux Olympiques et Paralympiques. Et ce n’est que le début : en 2025, Melvin de Paris quittera la capitale pour un nouvel opus ancré dans la culture réunionnaise, écrit avec des enseignants et élèves locaux.

De la musique à l’édition : un parcours marqué par l’indépendance
Davidson a toujours eu l’âme d’un entrepreneur. De son enfance rue Tandou à son passage dans l’industrie musicale en tant que producteur de la MZ, il a forgé sa carrière avec une approche indépendante. Après des années dans l’univers du disque, il a pris conscience que le combat pour la représentativité se jouait aussi dans les livres. « Je cherchais des livres pour ma fille, mais aucun personnage ne lui ressemblait. Kirikou, c’était un Noir en Afrique. Il n’y avait jamais d’histoire sur un Noir en Europe, comme moi. »
Plutôt que d’attendre qu’un éditeur traditionnel prenne en main ce projet, il a décidé de créer sa propre structure. Un choix logique pour celui qui a toujours fonctionné en do it yourself.
« À la Fnac, je voyais toujours les mêmes maisons d’édition. J’étais déjà autonome dans la musique, alors autant l’être aussi dans l’édition. »

La paternité comme déclic
Si Davidson était surnommé La Dictature à l’époque de la MZ, c’est un tout autre rôle qui l’anime aujourd’hui : celui de père. « Mon père était absent, j’ai eu le rôle de grand frère et de figure paternelle très tôt. J’ai pris goût à éduquer. » Une responsabilité qu’il assume pleinement, convaincu que la transmission est la clé.
« Transmettre aux enfants, ça me parle beaucoup plus que la musique aujourd’hui. »
Avec Melvin de Paris, il souhaite offrir aux jeunes lecteurs des histoires qui leur donnent envie d’ouvrir un livre. Un objectif qui va au-delà du divertissement : « Il n’y a pas de modèle de réussite ou d’espoir pour les jeunes de quartier. C’est à nous de faire ce travail, pas à TPMP ou BFM. Moi, je ne me force même pas. En vrai ? Je kiffe le faire. »
Heureusement est bien plus qu’une maison d’édition : c’est un projet porté par une nécessité, une vision et une ambition. Celle de donner aux nouvelles générations les outils pour se raconter elles-mêmes.
